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Homélie du Cardinal Paul Grégoire

Publié le : 2019-12-06 a 00h00 | Catégorie : Documents

Crédit photo: Réjean Martel - Archives de la Ville de Montréal

Homélie prononcée le 11 décembre 1989 par le Cardinal Paul GRÉGOIRE, lors des funérailles publiques célébrées à la Basilique Notre-Dame, de 9 des 14 jeunes femmes tuées lors du drame de Polytechnique. Ce texte a été publié intégralement dans les pages du journal La Presse le 12 décembre 1989.

Frères et Soeurs,

Depuis l’évènement horrible qui nous a plongés dans la consternation, nous sommes envahis par une peine qui semble devoir nous submerger. Cette peine se répand comme des ondes qui secouent notre sensibilité jusqu'en ses profondeurs les plus intimes. À tout âge, la mort est une tragédie. Le départ des êtres chers nous fait vivre une rupture qui laisse en nous des traces indélébiles.

La tragédie qui s'est déroulée à l'École polytechnique nous fait vivre l'absurde de l'événement et la douleur avec une intensité beaucoup plus grande encore. Quatorze jeunes femmes ont été fauchées brutalement dans la force et dans la beauté de leur âge, alors que tout les vouait à un avenir brillant, utile à la société. En quelques minutes, il a suffi de l'acte désespéré et aberrant d'un autre jeune pour briser tant de rêves, tant de promesses. Ces morts nous questionnent profondément. Les nombreux commentaires que nous avons lus ou entendus des derniers jours nous disent l'ampleur de cette interrogation qui nous habite.

En de tels moments, il convient plus que jamais de se tourner vers la Parole de Dieu, apaisante et interpellante à la fois. Nous venons d'entendre deux textes inspirés: un passage du livre de Job dans l'Ancien Testament et l'évangile des béatitudes. Aux heures graves, au coeur des tourmentes, l'Église aime relire le livre de lob. Nous y retrouvons les questions éternelles auxquelles nous sommes particulièrement sensibles aujourd'hui. La mort est-elle la fin de tout? Une vie trop brève est-elle dépourvue de sens? Quelle est la valeur de notre vie humaine, si fragile et qui nous échappe comme le sable qui nous glisserait entre les doigts?

À des millénaires de distance, on trouve dans le vieil homme Job un fidèle interprète de nos doutes et de nos tentations de révolte aujourd'hui. Après avoir évoqué la tristesse de la mort, Job entrevoit déjà une clarté d'espérance. Il sait que le regard de Dieu est posé sur lui avec tendresse. Et s'il nous arrive de questionner Dieu, de lui demander des comptes ou encore de l'oublier tout simplement, lui il ne nous oublie pas. Malgré nos résistances. Dieu ne cesse jamais de reconnaître en chacun et en chacune de nous l'oeuvre de ses mains.

Après avoir partagé les questions de Job, nous avons écouté l'évangile des béatitudes. Avec les béatitudes, Jésus nous indique les chemins du bonheur. Et l'on constate que ces chemins vont à l’encontre de bien des courants qui entraînent aujourd'hui notre société.

Je veux m'adresser ici de façon particulière aux jeunes universitaires qui ont l'âge de celles qui nous ont quittés. Quand je vous regarde, je pense aux disciples de Jésus qui avaient votre âge et qui, plus ou moins, comme vous, entrevoyaient une longue vie devant eux. Comme il les aimait, Jésus n'a pas hésité à les interpeller, à leur proposer les exigences d'une vie authentique.

À ces jeunes qui espèrent trouver le bonheur dans l'accumulation des biens matériels, Jésus dit: « Heureux les pauvres de coeur ». Aux autres qui nourrissent peut-être malgré eux des sentiments de haine et de violence, Jésus affirme: « Heureux les doux ». À ceux et celles qui attendent la grâce de Dieu pour oser pardonner, Jésus dit: « Heureux les miséricordieux ». Vous êtes accablés par la perte d'êtres chers; votre coeur est broyé par un deuil qui marquera votre vie. Jésus vous dit: « Heureux ceux qui pleurent ». Nous rêvons d'un monde meilleur et le pire nous arrive. Vous rêvez d'un monde où les droits de la personne sont respectés; où les femmes ont toute leur place et sont reconnues comme des partenaires égales dans une société à bâtir ensemble. Et Jésus vous dit: « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ». Vos filles, vos soeurs, vos amies, futures ingénieures que nous pleurons aujourd'hui avaient choisi de bâtir. En mémoire d'elles, en solidarité avec elles, vous chercherez à bâtir un monde fraternel. Alors vous suivrez la consigne de Jésus: « Heureux les artisans de paix ».

Ainsi les béatitudes de Jésus nous ouvrent des horizons qui dépassent nos visions uniquement terrestres, Jésus nous dit: « Votre récompense sera grande dans les cieux! ».

Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Barbara Klucnik-Widajewicz, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault, Annie Turcotte, puissiez-vous toutes reposer dans la paix!

À vous qui nous avez quittés et qui nous rassemblez dans l'espérance, nous disons: restez avec nous et bâtissons ensemble un monde selon le projet de Dieu.

Cardinal Paul GRÉGOIRE
Archevêque de Montréal
11 décembre 1989

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